ACTUS

L’histoire de l’injection électronique

Adoptée de série sur la victorieuse Cota 4RT depuis 2004, l’injection électronique est en passe de se généraliser sur les machines tout-terrain, trial 2-temps compris, comme a pu le confirmer la Vertigo sortie en 2014. Retour sur une évolution technologique valeureuse qui a bouleversé nos habitudes et notre pilotage.

Montesa à injection électronique

Si l’on y prête attention, les carburateurs n’ont pas énormément changé en cent ans, soit depuis le début du 20e siècle. Tout au plus avons-nous pu profiter de quelques modifications du corps du carbu, du venturi, de la forme de la cuve, de l’aiguille et des flotteurs. Des évolutions, dirons-nous. La plus grosse révolution restera finalement l’arrivée du power jet, ce gicleur additionnel censé enrichir les bas et mi-régimes sur les motos de cross 2-temps à la fin du siècle dernier. Hormis cela, le fonctionnement du carburateur n’a pas changé : le carburant est aspiré par dépression de la cuve pour être mélangé à l’air via un gicleur principal et un gicleur de ralenti selon la position du boisseau et de l’aiguille. Basique, simple, mais le fait est que pendant longtemps, on n’a pas trouvé mieux pour mixer proportionnellement le carburant et l’air dans la chambre de combustion. Après, malgré toutes ces années d’expérience acquises par les ingénieurs dans le fonctionnement du carburateur et les progrès qui ont pu en découler, il est clair que celui-ci n’offrira jamais une précision absolue. Notamment parce que la carburation optimale évolue selon plusieurs paramètres capricieux, tels que la pression atmosphérique, les              températures, notamment celle du moteur, la qualité du mélange, le type de bougie, le pilotage du jockey, etc. Un constat qui change diamétralement si l’on aborde le cas de l’injection électronique qui consiste à pulvériser dans le moteur l’essence via une pompe et un injecteur. Là, il est possible de viser le Graal, le mélange stœschiométrique. Le mélange théoriquement parfait entre l’air et l’essence. En chiffres, 14,7 grammes d’air pour 1 gramme de supercarburant.

Trial Vertigo injection électronique
C’est au Japon, terre de l’innovation technologique, que Vertigo a présenté pour la première fois sa machine dans le cadre du championnat du monde de trial. Pas un hasard selon nous…

1974, les premiers pas de l’injection

Reste que pour trouver la première trace de l’apparition d’une alimentation par injection sur une moto, il faut faire un grand pas en arrière et remonter à l’orée des années 80, alors que Kawasaki s’apprête à sortir l’une des plus impressionnantes machines jusqu’alors produites, la Z1300. Un roadster        monstrueux motorisé par un moteur 6 cylindres en ligne refroidi par eau qui, pour d’évidentes raisons de consommation, fut équipé pendant ses dix années de carrière de la première injection moto de l’histoire. Une machine iconique, mais aux antipodes des motos de trial, on en convient…

 

 

Selon les ingénieurs KTM, un système d’injection n’est pas plus onéreux à produire qu’une alimentation par carburateur…

 

 

Plus près de nous, comprenez dans l’univers du trial, c’est l’arrivée des constructeurs japonais – Yamaha et Honda en particulier dans l’arène au début des années 70 qui a enclenché une réflexion autour du moteur idéal et des bienfaits de l’injection. Mais alors qu’Honda envisagea le progrès avec la sortie d’un petit 4-temps de 125 cm3 routier à l’occasion du Salon de Tokyo de 1972 (Soïchiro Honda, le géniteur de la marque, était un anti 2-temps), la Bials TL, une moto qui s’en sortait aussi avec les honneurs dans les zones du fait de son poids contenu et de sa géométrie privilégiant la maniabilité, son concurrent Yamaha opta pour la deuxième école. Chez la marque aux trois diapasons, une machine de trial moderne se devait d’être motorisée par un bloc 2-temps d’une cylindrée de 250 cm3, à graissage séparé et muni d’une boîte à clapets. Clairement, l’YZT de son nom de scène ne pouvait être plus différente de la Bials TL. C’est elle qui fut la première à être équipée d’un système d’injection même si l’on est loin de la technicité des modèles actuels, forcément. Ainsi, élaborée à partir d’un brevet déposé par un ingénieur allemand, celle-ci consiste en une durite reliant le carburateur au bas moteur. C’est la pression            provoquée par la rotation du vilebrequin qui propulsait le carburant dans la cuve du carburateur, lequel était équipé pour le coup d’un diaphragme en remplacement des traditionnels gicleurs. Il fallait y penser. Pour démarrer la moto à froid, Mike Andrews, dépêché par l’usine Yamaha pour faire briller sa machine, avait une technique toute simple. Il pressait la durite pour faire remonter le précieux carburant jusqu’à la cuve du carburateur, ce qui fonctionnait plutôt pas mal! Selon Andrews, la moto fonctionnait même à l’envers… Quoi qu’il en soit, le représentant de sa Majesté remporta l’édition 1974 des Six Jours d’Ecosse à son guidon, ce qui n’empêcha pas la pompe May, le nom attribué au système par son géniteur allemand, de disparaître à tout jamais. Pas comme le simple amortisseur qu’elle exhibait qui, lui, refit son apparition sous la forme du célèbre système Cantilever apparu en 1983 sur les YZ, les machines de cross.

 

Trial Honda 4T
Au début des années 70, Honda est venu au trial en produisant une petite routière 4-temps et en la confiant à Sammy Miller.

L’injection tâtonne

Les constructeurs de trial tardent à adopter l’injection, mais cela pourrait changer avec l’arrivée prochaine d’une toute nouvelle Sherco équipée du précieux système…

 

Finalement, qui aurait pensé que c’est cette bonne vieille Amérique qui serait la première à proposer une injection électronique sur une moto de série ou une machine de cross en l’occurrence, avec la MX400 présentée en 2000 par Cannondale, le célèbre constructeur de vélos? Ce fut l’annonce du
début de millénaire qui, hélas, ne déboucha sur rien puisque la moto, innovante sur bien des points, dépassa à peine le cap de la pré-commercialisation, les soucis techniques s’accumulant autour du projet. Quelque temps plus tard, ce furent les ingénieurs de Gas Gas qui prirent l’initiative des opérations avec la sortie de la EC 450 cm3, une enduro présentée en 2002 dont le moteur était dérivé de celui de la Suzuki 400 DR. Une machine assez performante, quoi qu’handicapée par un poids supérieur à la concurrence, qui permis tout de même au constructeur catalan de devancer ses homologues européens, soit Aprilia, Husqvarna, Sherco, BMW et Husaberg. Chez ces cinq-là, il fallut attendre les années 2008 pour les voir suivre le tempo, imités un peu plus tard par les Japonais de Honda, Kawasaki et Suzuki. Yamaha n’embraya qu’en 2010 avec sa 450 YZ-F à cylindre inversé alors que KTM rejoignit le groupe en présentant une gamme enduro injectée en 2011, puis une gamme cross l’année suivante!

 

Dans l’univers du trial, c’est en 2004, avec l’arrivée de la Montesa Cota 4RT, que l’on peur profiter des joies de cette technologie. Jusque-là, tous les ingénieurs impliqués dans le développement des machines n’étaient parvenus qu’à défricher le terrain. On pense à John Shirt de Yamaha, Jaime Subira de Fantic, Pedro Ollé de Beta, Josep Paxau de Gas Gas et Sherco ou encore Josep Serra de Gas Gas et Ossa. Parmi ces fins techniciens, c’est Josep Paxau qui fut sans doute l’un de ceux à aller le plus loin dans ses recherches. Lui et deux jeunes ingénieurs, Josep Parres et Toni Garrido, étaient parvenus à greffer une injection sur des moteurs de cylindrées différentes, et notamment sur des blocs de trial dont la particularité est de tourner très lentement. Ils étaient sur le point de présenter un projet achevé quand Josep Paxau se décida à collaborer avec Sherco et à adapter ledit système sur les 2-temps et 4-temps de la marque. Sans y croire tout à fait cependant. Paxau voyait en effet deux obstacles majeurs à l’adhésion totale du grand public à l’injection. Primo, son coût bien supérieur à celui d’un carburateur classique sur des machines de série, ce qui en aurait grevé le prix. Secundo, la difficulté pour Monsieur Tout-le-Monde à intervenir sur l’injection électronique en utilisant des logiciels adaptés… Pour lui, convaincre le grand public qu’une boîte de gicleurs pouvait être facilement remplacée par un ordinateur connecté au boîtier électronique de sa moto relevait du défi. « Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne parfaitement ? » avouera-t-il…

 

Montesa Cota 4RT, cobaye de l’injection électronique

 

Voilà pourquoi il a fallu attendre l’intervention du HRC, le département course du premier constructeur mondial, Honda, et sa collaboration avec Montesa pour qu’enfin, on voit débarquer l’injection électronique sur une machine de trial moderne. Nous sommes en 2004 et la grande idée de l’usine nippone est de partir du bloc de son modèle cross, la 250 CR-F. Un mono simple arbre à came en tête qui servira à développer son futur moteur trial. Un bloc alimenté par une injec- tion légère et bien intégrée qui prendra l’appellation de PGM-FI. Sa qualité est évidemment d’ajuster finement le mélange carburant/ air, mais aussi d’occuper un minimum d’espace. Elle est bien moins volumineuse qu’un carburateur malgré une complexité incomparable puisqu’elle est commandée par un boîtier électronique qui recueille des informations auprès de plusieurs capteurs placés un peu partout sur la moto. Un microprocesseur se charge de calculer le débit minimum de carburant selon la température moteur, celle de l’air, la pression atmosphérique dans le boîtier de filtre, les tours du vilebrequin… Toute l’ingéniosité de Honda tient dans le fait qu’elle n’a pas eu recours à l’ajout d’une batterie pour alimenter l’injection. C’est un condensateur qui lui fournit l’électricité nécessaire dès le premier coup de kick. Autre prouesse, maintenir des émissions polluantes en deçà des normes fixées par Euro2 à l’époque… En tout cas, 17 ans plus tard, impossible de ne pas évoquer le coup de maître du premier constructeur mondial quand on rappelle qu’à son guidon, Toni Bou rafla 30 titres mondiaux. Si le monde avait encore besoin de preuves de l’efficacité de l’injection…

Josep Paxau travaillant sur l'injection électronique
Josep Paxau a travaillé dès 1996 sur la greffe d’une injection sur un bloc 2-temps. Un défi pas simple, surtout qu’il n’était qu’à moitié convaincu de ses bienfaits…

C’est pourtant Ossa, un tout petit constructeur sorti de nulle part, si ce ne se sont des anciennes pages de l’histoire du trial, qui fut le premier à adapter l’injection électronique à un bloc 2-temps. Malgré un manque d’expérience, de capitaux mais aussi d’ingénieurs puisqu’ils ne sont que deux, Josep Serra et Joan Roma, à avoir développé le moteur de l’inédite TR280 présentée en 2009. Plus fort encore, c’est sur un bloc au cylindre inversé qu’ils parviendront à faire fonctionner cette injection électronique fournie alors par les Japonais de Kokusan. Mais le résultat est là : à sa sortie des chaînes de montage, la toute nouvelle Ibère séduit par son comportement docile et précis… Hélas, tout cela sera gâché par de dramatiques problèmes de fiabilité qui viendront ruiner la carrière commerciale de la TR. Et, par la suite, la            renaissance de la marque. 

 

Vertigo et l’avènement de l’injection électronique

Il a fallu attendre le Salon de Milan de 2014 pour que l’injection s’impose à nouveau comme une solution d’avenir. Quand un nouveau constructeur de motos de trial catalan, Vertigo, a présenté son proto 2-temps 300 cm3 équipé d’une alimentation électronique. Un système parfaitement intégré à un cadre tubulaire de type treillis censé appuyer sa réputation de fabricant avant gardiste. On parle ici de ce qui se fait de mieux en la matière puisque c’est un boîtier électronique qui gère à la fois l’alimentation et l’allumage. Vertigo propose même– une révolution à cette époque– quatre cartographies moteur différentes afin de modifier le caractère du bloc selon les conditions de roulage. Là encore, la procédure de démarrage est des plus simples: un coup de jarret sur le kick suffit à alimenter l’injection électronique en volts. Pour ne rien gâcher, Dougie Lampkin et James Dabill se sont chargés de prouver les bienfaits de cette technologie, ainsi que sa fiabilité, en remportant les Six Jours d’Ecosse et le championnat d’Ecosse. Croyez-le ou non, il est bien moins complexe qu’il n’y paraît de comprendre le fonctionnement d’une injection électronique et de croire en sa fiabilité. Avec seulement deux éléments, un papillon des gaz et un injecteur, le système est relativement basique même s’il s’appuie aussi sur plusieurs capteurs et un boîtier électronique calculant en permanence – on parle de millisecondes – l’avance à l’allumage, ainsi que la quantité de carburant à délivrer. Un élément crucial dans le sens où il influe sur la qualité du mélange dans la chambre de combustion, donc la qualité de la combustion, le rendement du moteur et le maintien de sa température. Pour autant, l’arrivée de l’injection n’a pas eu d’effet sur la puissance délivrée. Plutôt sur la qualité des courbes de puissance et, évidement, la consommation de carburant. Autre bénéfice de l’implantation de l’injection électronique, la possibilité d’agir sur le comportement du moteur sans le moindre outil. Juste avec son smartphone connecté en Bluetooth à sa machine via une application dédiée.

 

Trial Ossa injection électronique
On a tendance à l’oublier, mais c’est Ossa qui fut le premier constructeur à proposer de série sur un moteur 2T l’alimentation par injection électronique.

 

On conclura sur les bienfaits de l’injection électronique en ajoutant enfin qu’en 2022, alors que le monde s’évertue à réduire les émissions polluantes, cette dernière a les vertus de limiter les fuites de carburant, le système étant scellé, et d’optimiser la carburation, donc de limiter les émissions nocives. Tenez-le vous pour dit, le carburateur vit ses dernières heures.

 

carburateur câble
Utilisé depuis le début du 20e siècle, le carburateur est sur le point de céder la place à l’injection électronique. Fini la corvée des changements de gicleurs, d’aiguille et des réglages de la richesse et du ralenti…

 

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